Réflexions d'un coach spécialisé dans les transitions, à partir des événements et rencontres de la vie quotidienne...

lundi 30 mars 2015

Autorité ou autoritarisme

L’autorité, c’est le droit de commander, le pouvoir (reconnu ou non) d’imposer l’obéissance, de se faire obéir. Dans son usage courant, le mot autorité est polysémique, comme beaucoup de mots français : selon le contexte, il peut recouvrir des sens différents. Quand on parle de l’autorité d’un juge, on évoque le pouvoir accordé à sa fonction d’imposer l’obéissance à des lois. Par ailleurs, on peut entendre par autorités les représentants du pouvoir, les membres du gouvernement, ou les responsables de l’administration. Dans une organisation pyramidale, l’autorité est conférée aux supérieurs hiérarchiques.

De quoi l'autorité dépend-elle ? 
Mais intéressons-nous à l’autorité naturelle, ce quelque chose qui émane profondément d’une personne, cette capacité à faire adhérer les autres à ses propositions ou à ses actions, indépendamment de son statut hiérarchique. À quoi tient-elle ? Contrairement à l’autorité conférée par le statut ou le pouvoir en place, l’autorité personnelle ne se décrète pas, elle ne contraint pas, mais ouvre à la liberté d’adhésion à ce qui est exprimé. L’autorité naturelle s’appuie, me semble-t-il, sur deux éléments : d’abord, les caractéristiques individuelles de la personne qui fait autorité : sa qualité de présence, sa façon de s’exprimer – verbalement et non verbalement – ainsi que sa cohérence, l’harmonie qui existe entre cette personne, ses valeurs, ce qu’elle dit et ses actes : en un mot, sa congruence. 

Par ailleurs, il y a le contexte, la manière dont les membres du groupe reçoivent cette autorité. Cela dépend de l’histoire du groupe, de sa culture collective ; la parole ou l’acte posé par la personne se situe dans un contexte social et culturel déterminé. Il y a bien sûr des gradations : certaines personnes font autorité dans un cercle ou un domaine particulier : leur profession, leur lieu de vie, leur milieu social ; d’autres sont acceptées beaucoup plus largement ; enfin, l’autorité de quelques individus exceptionnels est reconnue universellement, traversant à la fois les frontières et les époques : ainsi en est-il des grands sages ou des esprits les plus brillants de l’humanité.

Autorité, auctoritas en latin, vient de auctor, auteur, provenant de la racine augere, faire croître, augmenter, développer. Cette étymologie est intéressante, car elle suggère que celui qui détient l’autorité a pour mission de faire croître ceux dont il a la charge et qu’il respecte : son autorité est un moyen au service d’une valeur. C’est pourquoi l’autorité véritable est bien loin de l’autoritarisme : caractère, comportement d’une personne qui aime l’autorité pour elle-même, qui en use ou en abuse volontiers. L’individu qui fait preuve d’autoritarisme considère le commandement comme une fin en soi. Son autorité est finalement un moyen de se sécuriser, souvent au détriment des autres. Ayant peur d’être lui-même attaqué ou infériorisé, il sera donc tenté de refuser toute discussion de sa domination, exigeant tout et ne donnant rien en retour.


L’autorité naturelle est donc en lien avec l’estime de soi : plus je me sens intérieurement serein et en congruence, et plus mon autorité naturelle s’épanouira. À l’inverse, plus je me sentirai insécurisé, plus difficile sera mon exercice de l’autorité, et plus la tentation sera forte de recourir à l’autoritarisme.


Renaud CHEREL


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mardi 24 mars 2015

Convaincre ou persuader

Deux couples déjeunent au restaurant.
-« Je prendrais bien du dessert, il y a des profiteroles au chocolat… suggère Régine.     
- Non, on n’a pas le temps, on a encore une heure de route à faire et je ne veux pas être en retard ! rétorque Samuel, son compagnon.   
- Allez, s’il te plait, fais-moi plaisir ! minaude-t-elle.        
- Bon d’accord, mais on se dépêche…         
- Dépêche-toi surtout parce qu’il n’en reste que deux, intervient Mireille. Moi, je m’en réserve déjà une…     
- Tu n’avais pas commencé un régime, Mireille ? s’étonne Kevin.           
- Oui, mais bon, je peux tricher de temps en temps. Toi, prends donc une glace, les gens de la table d’à côté ont l’air de s’en régaler. »

Une grande part de notre communication consiste à tenter d’emporter l’adhésion d’un interlocuteur (particulier ou collectif). Pour ce faire, nous pouvons utiliser de très nombreux outils, que l’on pourrait ranger dans deux grandes familles : d’une part ceux qui s’adressent à la raison – on parle alors de l’art de convaincre – et d’autre part ceux qui s’adressent aux émotions – on parlera alors des moyens de persuasion ou de suggestion, cette dernière agissant de façon moins consciente.

La conviction relève de la raison et sollicite le savoir ; elle s’appuie sur une démarche, un raisonnement, une démonstration qui vont aboutir logiquement à la conclusion proposée. Ainsi, dans notre exemple, Samuel explique les raisons de son impatience. 

De l’autre côté, la persuasion sollicite les désirs, les attentes, les rêves ou les émotions du destinataire, de façon à obtenir son adhésion spontanée et affective. C’est ainsi que Régine joue sur l’affectif pour persuader son compagnon d’attendre un peu. Mireille, elle, joue sur le manque pour renforcer le désir de Régine, et sur le consensus pour suggérer le choix de son dessert à Kevin. Quant à ce dernier, il met en lumière le manque de cohérence de Mireille, qui a déclaré vouloir faire un régime. Ce souci de cohérence, que le sociologue Leon Festinger a mis en évidence dans ses études sur la « dissonance cognitive », est un moteur puissant. Aussi Mireille trouve-t-elle une parade pour se justifier.

Il s’ensuit qu’on sera davantage persuadé pour des raisons personnelles, alors que l’on acceptera plus volontiers d’être convaincu par les raisons d’autrui.

Cependant, cette distinction entre conviction et persuasion est quelque peu artificielle : en réalité, ces deux types de moyens sont utilisés dans la plupart des communication, et sont parfois tellement imbriqués l’un dans l’autre qu’il est difficile de les démêler. On pourrait penser, par exemple, que les scientifiques vont essentiellement chercher à convaincre, au contraire des professionnels de la vente centrés uniquement sur la persuasion. Pourtant, l’expérience ne corrobore pas cette affirmation : dans leur communication, les savants ne négligent pas les effets de persuasion, et l’on sait combien les émotions colorent les débats entre experts, jusqu’à les amener parfois au conflit ouvert. Inversement, les techniques de persuasion utilisées dans le domaine commercial s’appuient souvent sur un socle d’éléments rationnels.

La réalité est donc plus nuancée que nos modèles… Vous ai-je convaincu ?


Renaud CHEREL


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    Influencer ou être influencé
    Moyens pour influencer autrui

lundi 16 mars 2015

Néophobe ou néophile?

Dans le précédent article, nous avons abordé les notions de néophobie et de néophilie, recul ou attrait par rapport à la nouveauté : celles-ci ont des répercussions importantes dans la vie sociale. Dans la société, en effet, on a coutume de différencier les individus qui ont tendance à se montrer néophobes, qualifiés de « conservateurs », et ceux qui sont plutôt néophiles, les « progressistes ». Les uns et les autres s’organisent en associations, en mouvements, en partis politiques souvent antagonistes.

Cependant, si l’on prend un peu plus de hauteur, on en vient à constater que bien souvent dans la vie des sociétés humaines, des périodes plus néophiles alternent avec des périodes plus néophobes. La société chinoise, dans laquelle le changement et l’innovation ont été considéré comme extrêmement négatifs pendant des siècles, notamment sous l’influence d’une certaine interprétation du confucianisme, est brutalement entrée dans une période néophile il y a quelques décennies. Notre société occidentale a elle aussi connu ce type d’alternance : le Moyen-âge était plutôt néophobe, la Renaissance et la période actuelle sont allègrement néophiles. 

Le confucianisme a favorisé la tradition contre l'innovation.
Mais un examen plus détaillé de l’Histoire nous invite à davantage de nuance dans notre jugement ; ainsi, de nombreuses innovations ont vu le jour dans la période médiévale : on peut citer, parmi de multiples exemple, les techniques architecturales inventées pour construire les cathédrales, l’invention de la brouette, celle de la charrue à soc. De même les Chinois, à l’intérieur d’une société relativement immobile dans ses traditions, ont innové dans un certain nombre de domaines : ils ont inventé le papier et l’imprimerie, ou bien encore la poudre, qu’ils utilisaient uniquement pour les feux d’artifice, toutes technologies arrivées bien plus tard en Europe. Ils sont aussi à l’origine de la boussole, ce qui leur a permis de lancer des navires sur tous les océans bien avant Christophe Colomb.

Même si certains individus sont globalement plus attirés par la nouveauté et d’autres par la tradition, il nous faut reconnaître que la frontière entre néophobe et néophile passe à l’intérieur de chacun de nous : n’avons nous pas tendance à nous reposer sur la sécurité de choses acquises dans certains domaines, sans chercher à les remettre en question, et par ailleurs à rechercher la nouveauté dans d’autres ? De plus, pour la plupart, nous évoluons au cours de notre vie : jeunes, nous sommes généralement plus néophiles, plus à l’affût de la nouveauté. Inversement, lorsque nous avançons en âge, nous avons davantage tendance à nous fier à notre expérience et à nous installer dans certaines habitudes sécurisantes. D’ailleurs, les grandes inventions ou découvertes ont pour la plupart été réalisées par des personnes jeunes, même s’il existe de nombreuses exceptions à cette tendance. Thomas Edison, par exemple, déposa son dernier brevet à l’âge de 83 ans.

Thomas Edison, un esprit inventif jusqu'à la fin de sa vie.
En conclusion, ne portons pas trop rapidement de jugement sur les personnes ou les groupes dont le comportement en matière de nouveauté ne correspond pas au nôtre : c’est de sa diversité que naît la richesse de tout groupe humain !


Renaud CHEREL


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lundi 9 mars 2015

L'attrait de la nouveauté

Des amis discutent :

-« Vous avez vu la dernière génération d’iPad ? Topissime, incroyablement performant ! déclare Olaf. Je ne peux pas m’empêcher d’acheter les dernières nouveautés…
  
-Oh, moi qui ne suis pas de la jeune génération, j’ai du mal à m’adapter à toutes ces évolutions, rétorque Paméla. À peine ai-je eu le temps de m’habituer à un système qu’on nous en présente un nouveau : je préfère rester sur ce que je connais déjà…
        
-Tu as peut-être peur de ces nouvelles technologies, mais tu es toujours à la recherche de nouvelles recettes de cuisine, remarque Maryline.  

-Ne me parlez pas de nouvelle cuisine, assène Lilian. Ce que je préfère, ce sont quand même les bonnes vieilles recettes traditionnelles que nous concoctait ma grand-mère ! Les mélanges de goûts et les saveurs exotiques qu’on nous présente aujourd'hui, ce n’est pas pour moi ! »

La nouveauté, un mot magique censé stimuler la curiosité des consommateurs, est mise en avant dans beaucoup de discours publicitaires. Pourtant, une proportion non négligeable de personnes éprouvent une certaine crainte envers ce qui est nouveau. C’est pourquoi, d’ailleurs, la publicité tente souvent de trouver le compromis heureux entre une nouveauté qui attire et une tradition qui rassure.


Plutôt contre-intuitive dans notre société actuelle, la néophobie, peur de tout ce qui est nouveau ou inconnu, a été très sérieusement étudiée depuis quelques décennies à la fois chez les animaux et chez les humains. Pour la plupart d’entre nous, l’attrait pour la nouveauté semble être une caractéristique très positive, et elle est fortement valorisée chez l’enfant dès le plus jeune âge et pendant la période scolaire. Mais c’est oublier que nous vivons dans un environnement très sécurisé : pour les premiers humains, qui devaient faire face à un univers hostile, un excès de curiosité pouvait être fatal. Pour eux, la néophobie permettait d'éviter certains dangers potentiels, par exemple dans le domaine alimentaire : le fait de s’abstenir de goûter une plante inconnue limitait le risque de s’empoisonner. Et le fait de demeurer sur un territoire familier améliorait la sécurité du groupe.

Chez les animaux, certaines espèces sont extrêmement bien adaptées à leur milieu, et l’on observe que les espèces ayant l'habitat le plus spécifique sont aussi les plus méfiantes à l'égard de la nouveauté. Dans ces populations, les individus les plus craintifs minimisent les risques d’attaque par un prédateur. Mais cette timidité restreint aussi le champ de leurs explorations : les rares individus plus audacieux, tout en s'exposant davantage au danger, multiplient les chances de s'alimenter. De plus, en cas de changement important du milieu, ce sont ces derniers qui auront le plus de chances de survie. De fait, dans les espèces exposées régulièrement à des variations de l’environnement, les individus curieux et attirés par la nouveauté (néophiles) sont majoritaires.

L’extraordinaire essor de l’espèce humaine est probablement lié en partie à son attrait pour la nouveauté, qui lui a permis de s’adapter à presque tous les milieux présents sur la terre. Mais cela n’empêche pas les différences individuelles.

L'attrait de la nouveauté est un des ressorts du commerce
Et vous, êtes-vous plutôt néophile ou néophobe ?


Renaud CHEREL


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    Curiosité : défaut ou qualité?
    Néophobe ou néophile?

lundi 2 mars 2015

Point aveugle

Au point aveugle, la surface de la rétine est interrompue pour laisser
passer le faisceau du nerf optique et les vaisseaux sanguins
Nous avons tous un point aveugle dans l’œil : à l’endroit où les terminaisons nerveuses de la rétine se rassemblent pour former le nerf optique, la vision n’est pas possible. Et pourtant, quand nous ouvrons les yeux et regardons autour de nous, nous avons l’impression que notre champ de vision est continu, sans aucune interruption. Sauf pathologie particulière, nous ne voyons pas de tache noire qui occulterait une partie de notre champ visuel, pour deux raisons : d’abord, parce que les points aveugles de nos deux yeux ne se superposent pas : la vision d’un œil compense le manque de l’autre. Mais même si nous regardons d’un seul œil, le point aveugle n’apparaît pas : en effet, notre cerveau reconstitue automatiquement la partie manquante, perçue lorsque nous bougeons les yeux… Ce point aveugle est tellement bien caché qu’il a fallu attendre le XVe siècle pour que le physicien Mariotte le découvre en procédant à la dissection d’un œil !

Par comparaison, l’on peut affirmer que nous possédons tous un ou plusieurs points aveugles dans notre représentation du monde, dont nous ne sommes pas conscients habituellement : pour les découvrir, nous avons besoin du regard d’une personne extérieure. Pourquoi ? Parce que nous ne percevons pas la réalité telle qu’elle est, mais que nous la reconstruisons mentalement. Et de la même manière que mon cerveau reconstitue la vision manquante de mon œil, mon esprit reconstitue ma représentation du monde à l’aide de ce que j’en sais déjà : mes points aveugles me sont invisibles. D’où la grande difficulté, pour la plupart d’entre nous, à accepter des aspects de la réalité ou des concepts qui nous sont totalement étrangers. D’où aussi une certaine propension à fréquenter des gens qui ont à peu près la même vision du monde que nous : qui se ressemblent s’assemblent.

Même quand nous disons aimer la confrontation des idées et la nouveauté, c’est souvent pour montrer à l’autre que notre façon de voir les choses est meilleure que la sienne… Que ce soit dans le domaine des sciences comme celui des arts, les grandes innovations n’arrivent pas si fréquemment : la plupart sont des améliorations d’idées plus anciennes. À regarder de près l’histoire humaine, rares sont les véritables révolutions, et celles-là sont souvent l’objet d’oppositions farouches de la part de ceux qui s’étaient confortablement installés dans les idées du moment (ce qu’on appelle encore le paradigme dominant).

Oui, il est difficile de prendre conscience de mes points aveugles, et il est plus difficile encore de les modifier. Mes points aveugles dépendent sans doute de beaucoup de facteurs, certains liés à mon histoire personnelle et à celle de ma famille ; d’autres plus culturels, liés à mon environnement géographique et social et à l’époque dans laquelle je vis ; enfin, il en existe de plus larges encore, liés à la nature humaine en général et ses limitations, donc probablement indépassables.

Mais je suis également conscient qu’en étant à l’écoute de l’autre, attentif à sa vision du monde, j’élargis mes horizons et je réduis mes points aveugles.


Renaud CHEREL


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    Visions du monde
    Points de vue
    Notre vision du monde n'est pas le monde
    Observation et jugement
    Reformulation

Liens externes :
    http://www.illusions-optique.fr/point-aveugle.html
    pour tester l'existence de votre point aveugle oculaire.