Réflexions d'un coach spécialisé dans les transitions, à partir des événements et rencontres de la vie quotidienne...

jeudi 30 décembre 2010

Nous sommes mortels

Début novembre, alors que les arbres perdent leurs feuilles et que la nature semble s’endormir, il est de tradition de nous souvenir de nos défunts. Certains prient pour les âmes de ceux qui les ont précédés ; d’autres vont fleurir la tombe d’un parent ou d’un proche au cimetière ; d’autres encore ignorent totalement l’événement.
Tombe de Colette au Père-Lachaise (Photo Renaud Cherel)
Penser à la mort des autres, inévitablement, cela nous conduit à penser à notre propre condition mortelle. S’il y a une chose dont je peux être sûr, c’est que je vais mourir un jour. Mais comment fais-je face à cette perspective inéluctable ?

-« Je n’ai pas le temps de penser à la mort, dit Kafdi. J’aime prendre des risques, j’adore les sports extrêmes où je vais au bout de mes limites physiques : c’est quand l’adrénaline est au maximum que je me sens vivant ! Pour moi, ceux qui vivent leur petite existence pépère, ils sont déjà morts. J’agis comme si le temps n’existait pas : je suis jeune et je veux rester jeune ! »

-« Moi, reconnaît Yannick, j’ai peur de la mort, et j’essaie de la conjurer, en fuyant les situations qui pourraient me la rappeler. Récemment, je n’ai pas pu aller voir un collègue qui avait été hospitalisé pour une grave maladie : c’était au-dessus de mes forces. Et pour tout dire, même le sommeil représente pour moi une sorte de mort : c’est une des raisons pour lesquelles je suis très actif et je dors peu. Plus ou moins consciemment, je préfère dormir moins et être dans l’action, cela me prouve que je suis en vie. »

Marie-Thérèse : -« J’essaie d’échapper à cette idée de ma mort en me donnant l’illusion d’avoir un pouvoir illimité sur tout… Je m’affirme en niant mes propres limites, mes incapacités, mes fragilités. Je conteste les dires ou les actes des autres qui remettent en question mes certitudes ; je refuse les changements qui me renvoient à mon impuissance à contrôler les événements… »

La peur de mourir n’est-elle pas dans certains cas une peur de vivre, dans la mesure où la vie est changement ? Au lieu de ne voir dans la « faucheuse » qu’une adversaire formidable et invincible, ne puis-je pas aussi la concevoir comme une amie exigeante dont l’approche m’aide à vivre plus fort, à aimer cette vie, belle et fragile, qui est la mienne ?

C’est la brièveté même de ma vie, sa finitude, qui en fait le prix : si la vie est courte, à moi de la vivre du mieux possible. Si j’ai appris à goûter l’instant présent, à le vivre pleinement, à « consentir au réel », à choisir avec amour ce qui m’advient tout au long des jours, la vie ne me sera pas arrachée.

« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain », disait saint Thomas d’Aquin. Oui, vivons, apprécions chaque jour comme si c’était le dernier, tout en ayant des projets qui nous font avancer, nous et les autres autour de nous.

Renaud CHEREL


Voir aussi dans ce blog : 
    Les étapes du deuil
    Finitude : nous sommes des êtres finis
    Date de péremption
    Souviens-toi que tu vas mourir

mardi 21 décembre 2010

Colère

Fernand : « J’ai découvert que j’étais constamment en colère, mais que je n’en avais absolument pas conscience. Et en même temps, je me dis que je n’ai pas le droit de la laisser monter, de la faire sortir. Je suis toujours stressé, angoissé, je me noie dans un verre d’eau, je m’énerve. J’ai à l’intérieur un tribunal très fort, j’ai tout un commissariat de police dans le ventre ! Je me dis tout le temps : "t’es nul !" Je cherche à vouloir être bien, un peu mieux que les autres. Je me sens mauvais, agressif, mais sans le montrer… C’est l’horreur quand je suis dans la voiture tout seul, qu’est-ce que je peux râler contre les autres ! »

Marlène : « Moi, dans mon job, tout est parfaitement cadré, il y a des procédures à respecter pour tout, il n’y a pas de place pour la colère. Par contre, dans ma vie privée, mes proches ne me demandent pas forcément trop ; mais pour moi c’est trop et ça se termine habituellement par de la colère. Cette colère est souvent réprimée et je la manifeste alors, d’une façon subtile, en provoquant un sentiment de culpabilité chez l’autre, en le rendant responsable de son propre malheur. »

Bien souvent, notre colère nous envahit complètement et nous amène, plus tard, à regretter quelque peu ce que nous avons dit ou fait sous son emprise. Car tout est là : suis-je condamné à subir ma colère, aveuglément, sans contrôle sur mes gestes ou mes paroles lorsqu’elle s’exprime ? Suis-je complètement privé de ma liberté au moment où je sens cette vague de colère me submerger et m’emporter ?

En fait, la colère est une émotion, comme la tristesse, la joie ou la peur. Et comme les autres émotions, elle n’est ni bonne ni mauvaise en soi ; elle est neutre. Par contre, c’est ce que je fais de ma colère qui peut lui valoir d’être bonne ou mauvaise. En général, j’ai tendance à attribuer la cause de ma colère à quelque chose d’extérieur : le comportement d’une personne, un règlement que je juge stupide, et j’exprime cela en disant par exemple : « Tu m’énerves… »

Ce faisant, je confonds la cause de ma colère et son facteur déclenchant. Le comportement de l’autre ou son attitude n’est qu’un facteur déclenchant. La cause de ma colère, c’est moi-même ; je pense que l’autre a tort et que j’ai raison, je juge son comportement comme étant mauvais. En fait, je peux me rendre compte que ce sentiment de colère est provoqué par un besoin en moi non satisfait. Par exemple, j’ai besoin d’estime, ou qu’on me prenne pour quelqu’un de valable, ou d’être rassuré. Lorsque je prends conscience de mes besoins, alors ma colère n’est plus la même.

Et si, faisant un pas de plus, j’arrive à porter mon attention sur le besoin de l’autre, je peux lui permettre de grandir, sans le violenter. La colère devient alors une source d’énergie extraordinaire, un puissant moteur d’action et de créativité.

Renaud CHEREL



Pour aller plus loin
Voici une liste - non exhaustive - d'adjectifs, avec les noms correspondants, permettent d'exprimer différentes nuances de la colère.


Adjectif (je me sens…)
Nom (plein de…)
À bout

Acariâtre

À cran

Acerbe

Acrimonieux
Acrimonie
Agacé
Agacement
Agité
Agitation
Agressif
Agressivité
Aigri
Aigreur
Amer
Amertume
Antipathique
Antipathie
Âpre
Âpreté

Aversion
Bagarreur
Bagarre
Belliqueux
Belligérance 
Bloqué
Blocage 
Brûlant
Brûlure 
Cassant
Casse 
Choqué
Choc
Coléreux
Colère
Combatif
Combat (intérieur)
Contrarié
Contrariété
Courroucé
Courroux
Crispé
Crispation
D’humeur massacrante
Massacre
D’humeur noire
Noirceur
De mauvaise humeur

Débordé
Débordement
Déchiré
Déchirement
Détestable
Détestation
Emporté
Emportement
Énervé
Énervement
Enragé
Rage

Rogne
Exaspéré
Exaspération
Excédé

Excité
Excitation
Exécrable
Exécration
Fâché
Fâcherie
Froissé

Frustré
Frustration
Fumasse (fam.)

Furax
Fureur
Furibard (fam.)
Fureur
Furibond
Fureur
Furieux
Fureur
Grognon
Grogne
Haineux
Haine
Hargneux
Hargne
Hérissé

Heurté
Heurt
Horripilé

Hostile
Hostilité
Impatient
Impatience
Importuné

Indisposé
Indisposition
Injurieux
Injure
Insatisfait
Insatisfaction
Irrité
Irritation
Jaloux
Jalousie
Maussade

Mauvais

Mécontent
Mécontentement
Morose
Morosité
Mortifié
Mortification
Offensé
Offense
Outragé
Outrage
Persifleur
Persiflage
Piqué au vif

Railleur
Raillerie
Rancunier
Rancune
Remonté (fam.)

Renfrogné


Ressentiment
Revêche

Rude
Rudesse
Sarcastique
Sarcasme
Sardonique

Sous pression

Surexcité
Surexcitation
Teigneux

Tendu
Tension
Ulcéré
Ulcération
Venimeux
Venin
Vexé
Vexation
Vindicatif

Violent
Violence
Vois rouge


Voir aussi dans ce blog :
    Orages
    Les émotions
    Impatience
    Combattre, fuir ou ne rien faire ?
    Faire preuve de courage

Liens externes :
    Comment gérer la colère ?

Bibliographie :

Pleux Didier : Exprimer sa colère sans perdre le contrôle, éd. Odile Jacob, Paris 2011 (1e édition 2006). 221 pages.

Dans cet ouvrage, Didier Pleux, docteur en psychologie cognitive et consultant en ressources humaines, aide le lecteur, à travers un certain nombre de questions personnelles, à comprendre les mécanismes de sa colère. Puis, après avoir passé en revue les conséquences de la colère, il propose des exercices permettant de s’accepter et de gérer sa colère pour en faire bon usage. 

dimanche 19 décembre 2010

Fragilité

Tanguy est un homme très direct, qui dit ce qu’il pense sans faire de détours. Il est sûr de lui quand il décide et ses collaborateurs l’apprécient pour cela : ils le trouvent solide et rassurant. Marine, elle, se pose beaucoup de questions avant de prendre une décision, elle envisage toutes les conséquences de ses actes ; comme elle paraît parfois indécise et qu’elle est sensible au jugement des autres, ses collègues la trouvent fragile.

Le pont de Millau paraît fragile et pourtant...
(Photo R. Cherel)
Notre société, surtout dans le milieu professionnel, fait peu de place à la fragilité ; et pourtant, celle-ci fait partie de notre condition humaine. On s’est aperçu depuis bien longtemps que le bébé humain est bien plus fragile à la naissance que la plupart des petits d’animaux. Le petit cabri ou le petit poulain sont capables de trotter quelques instants après leur naissance, ce qui leur permet d’échapper à d’éventuels prédateurs. Rien de tel pour le petit d’homme, qui reste extrêmement vulnérable et dépendant de son entourage pendant de longues années. Devenir adulte consistera entre autres à quitter cet état de vulnérabilité ; mais celle-ci demeure, au fond, même chez ceux qui sont arrivés au sommet du pouvoir.

Et pourtant, notre fragilité fait notre force : n’étant pas équipés pour vivre dans un milieu particulier, nous avons la possibilité de nous adapter partout. Étant dépourvus de schémas de comportement prédéterminés, notre capacité d’apprendre nous confère la liberté de choisir comment réagir à une situation donnée. Notre répertoire ne se limite pas à des réactions instinctives automatiques, mais dépend largement de notre expérience personnelle, de ce que nous ont transmis non seulement nos parents et nos éducateurs, mais, à travers la société dans laquelle nous vivons, un peu tous ceux qui nous ont précédés.

Plus concrètement, revenons à nos exemples : Tanguy se trouve parfois très isolé pour prendre certaines décisions délicates et cela est difficile à vivre. Parfois aussi, il se bute dans ses certitudes : il pense avoir raison et combat avec énergie ceux qui s’opposent à ses projets. Il n’accepte pas la possibilité d’avoir des fragilités, d’être vulnérable. De son côté, Marine, qui demande à l’autre son avis, est ressentie par son entourage comme une personne très accessible. Par ailleurs, dans une situation particulièrement difficile, elle va faire preuve de beaucoup de courage et sera capable de prendre rapidement les bonnes décisions.

Ainsi, dans certaines situations, je peux choisir de rester dans la maîtrise, ou bien accepter ma fragilité et, d’une certaine manière, lâcher prise. M’ouvrir à la possibilité d’agir ou de réagir autrement, ne pas me figer dans la façon de faire que j’ai toujours adoptée jusqu’à aujourd’hui mais qui peut-être n’était pas toujours adaptée. « Vouloir être une forteresse imprenable, inattaquable, c’est être incapable de changer. » (Jean-Claude Liaudet.) Tant que je demeure dans cette forteresse, j’ai beaucoup de mal à communiquer. En reconnaissant mes manques, je reconnais que je ne suis pas autosuffisant et je m’ouvre à la relation avec l’autre. « C’est de notre fragilité que découle notre aptitude à la relation. » (Marie Balmary).

Aurai-je le courage de m’ouvrir à ma fragilité ?

Renaud CHEREL


Voir aussi dans ce blog :
    Nous sommes mortels
    Evénements et résilience
    Abandon et sentiment d'abandon

Liens externes : 
Un point de vue plus philosophique sur la question de la vulnérabilité :
    Force de la vulnérabilité

Bibliographie : 

Jean-Claude LIAUDET : Du bonheur d'être fragile, Albin Michel, Paris, 2007, 165 pages.
Reconnaître sa fragilité n'est pas très à la mode. Pourtant, c'est une voie qui nous permet de nous ouvrir davantage à la vie et à la relation avec l'autre. S'accepter tel que l'on est - un être vulnérable et donc libre - permet d'évoluer pour aimer mieux et agir.


jeudi 16 décembre 2010

Les conflits : comment les gérer ?

Noémie et Philippe, qui vivent ensemble depuis 10 ans, se disputent :
-« J’en ai marre d’être ignorée par toi ! »
-« Moi ? Je n’ai rien fait ! Là, tu te fâches contre moi sans aucune raison ! »
-« Comment, sans aucune raison ? Tu te fous de moi : hier soir, tu rentres à minuit sans m’avertir ! Je me sens complètement délaissée ! »
-« Mais c’était un dîner important avec des collègues… Tu ne vas pas m’interdire ça, non?»

En situation de désaccord, nous constatons très souvent que nous avons tendance à nous mettre sur la défensive. C’est assez normal, au fond, car c’est un vieux réflexe de survie qui nous vient du fond des âges. Nous nous sentons attaqués, et nous nous défendons, au besoin en attaquant à notre tour ; mais est-ce le comportement le mieux adapté aujourd'hui ? Je n’en suis pas si sûr ; en tout cas d’autres manières de faire sont possibles et donnent d’excellents résultats. Je pense en particulier à la méthode proposée par Marshall B. Rosenberg, intitulée la Communication Non Violente (CNV), qui a été reprise et déclinée de nombreuses manières différentes. En voici quelques principes :

Les faits
D’abord, il est important de prendre en compte les faits. Souvent nous faisons la confusion entre l’observation des faits et notre interprétation, notre évaluation ou jugement sur ces faits. Que Noémie s’exprime face à Philippe, c’est un fait ; qu’elle se fâche sans aucune raison, c’est une interprétation de la part de Philippe. Lorsque Philippe lui renvoie ce jugement, cela n’a pas beaucoup de chances de calmer la colère de Noémie, mais plutôt de la renforcer.

Les émotions
En second lieu, il convient de reconnaître les émotionsqui nous animent au moment où nous échangeons avec l’autre : la colère, la peur, la tristesse, la frustration... Mais attention, là encore il est très facile de placer un jugement au lieu d’une émotion. Quand Noémie se dit ignorée et délaissée par Philippe, c’est une interprétation de sa part, en ce sens qu’elle lui prête une intention : « Tu m’ignores… Tu me délaisses. » L'émotion qui l’habite alors, c’est peut-être la tristesse, ou encore l’inquiétude.

Les besoins
Ces émotions ressenties, ellesproviennent de nos besoins, nos désirs ou nos valeurs qui sont en souffrance. Quand Noémie se plaint que Philippe rentre trop tard, c’est peut-être son besoin d’intimité qui s’exprime, ou bien ses valeurs d’échange et de partage qui ne sont pas satisfaites.

La demande
Notre inconscient a beaucoup de mal à enregistrer la négation. Demandons donc ce que nous voulons, et pas ce que nous ne voulons pas ! Ayant discerné un peu les choses, Noémie va pouvoir exprimer plus clairement sa demande à Philippe : «Quand tu es rentré tard hier soir sans m’avoir prévenue à l’avance, je me suis sentie triste et inquiète, car j’ai besoin de prendre du temps avec toi et je veux savoir s’il ne t’est rien arrivé. Si cela doit t’arriver encore, peux-tu me prévenir par un petit coup de fil ? »

Renaud CHEREL


Voir aussi dans ce blog :
    Colère
    Sur la défensive
    Communication non défensive
    Concession ou compromis?
    Excès ou modération