Réflexions d'un coach spécialisé dans les transitions, à partir des événements et rencontres de la vie quotidienne...

lundi 29 juillet 2013

Poème d'été : Vivre vieux

 Un jour, après avoir, d’un fameux psychologue
 d’outre-Atlantique lu un ouvrage connu,
 un point m’impressionna : le fait que l’épilogue
 de notre vie, la mort, verra son advenue
 non par le seul hasard ou les aveugles forces
 du destin ou des dieux, mais, selon cet auteur
 en fin d’un scénario personnel qui s’amorce
 très tôt dans l’existence : « nous en choisissons l’heure »,
 dit-il ; notre durée de vie serait en fait
 liée à des limites inconsciemment fixées
 selon certains modèles que nous aurions en tête,
 des personnes vers qui nous nous serions axés.
  
 Et quant à cet auteur, vous le savez peut-être :
 Éric Berne est son nom, il a créé l’AT,
 (Analyse Transactionnelle) ; il est le maître
 des jeux entre sujets. Mais je veux me hâter
 ici vers mon propos : serait-il donc possible
 d’agir sur le moment où placer sa sortie ?
 Aurions-nous le pouvoir, vu comme inaccessible
 de modifier le temps qui nous est imparti ?
 Quel hubris ! Quelle audace ! Comment peut-on oser
 imaginer cela? Et pourtant, semble-t-il,
 pour cette théorie, Berne s’est reposé
 sur des faits avérés, imprévus mais fertiles.
  
 Car il montra que de nombreux individus
 ne sont pas décédés par un hasard fluant
 mais à l’anniversaire exact de la mort du
 parent le plus aimé ou le plus influent.
 En outre, il ajoutait – et c’est fort important
 que notre scénario n’est pas irrévocable :
 nous pouvons le changer, à condition pourtant
 de travailler sur soi de façon impeccable.
 A-t-il tort ou raison ? Je ne sais, mais son livre
 m’a fort influencé ; et depuis ce jour-là –
 j’avais quoi ? Vingt-sept ans – j’ai décidé de vivre
 au moins jusqu’à cent ans… pourquoi pas au-delà ?
  
 Pour ce faire, j’ai mis de mon côté le plus
 de conditions favorables possibles : ainsi
 depuis ce temps j’ai vraiment résolu
 de manger sainement, d’écarter les soucis
 tant que faire se peut ; ne pas faire d’excès
 d’aucune sorte et puis c’est vrai par-dessus tout
 vivre l’instant présent – pour moi je crois que c’est
 l’essentiel – sans regret du passé et surtout
 sans craindre l’avenir : alors qu’on ne sait guère
 ce qui peut advenir, à quoi bon s’alarmer
 se faire des cheveux blancs ou se mettre en colère ?
 Pour vivre vieux, vivons simplement désarmés.
  
 « C’est bien, me direz-vous, de vivre tout ce temps,
 mais pour en faire quoi ? Si c’est pour continuer
 la vie que j’ai menée jusqu’ici, trop content
 d’arrêter ; et si c’est pour vivre diminué
 par quelque maladie, ou vivre handicapé,
 non merci, je préfère avoir vécu les ans
 impartis par la vie et ne pas m’échapper
 dans des rêves impossibles autant que trop plaisants. »
 Fort bien, c’est votre choix ; mais j’aime la vie tant
 que j’accepterais bien, je crois, quelque inconfort
 pourvu que je ne sois tout à fait impotent :
ce qui ne me tue pas, bien sûr, me rend plus fort !

Jeanne Calment, qui a vécu jusqu'à 122 ans, ne se privait pas
de son petit verre de vin et de sa cigarette. Étonnant, non ?

Renaud Cherel


Bibliographie

Le livre auquel je fais allusion dans ce poème s'intitule "Que dites-vous après avoir dit bonjour?" (Titre original : "What Do You Say After You Say Hello?")
Dans cet ouvrage, l’un des plus significatif et des plus importants de son œuvre, Eric BERNE présente les principes de base de l’Analyse transactionnelle. Selon ce modèle, la personnalité d’un individu est articulée autour de trois éléments : le Parent, l’Adulte, l’Enfant. L'auteur affirme ici que notre destin serait conditionné par un scénario de vie, élaboré dès l’enfance, qui dicterait toutes nos actions, entraînerait nos échecs ou nos réussites, et fixerait même la durée de notre vie. 
Est-il possible de se libérer de ce scénario ? Oui, répond Eric Berne, à condition d'y mettre un certain nombre de moyens...

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lundi 22 juillet 2013

Poème d'été : Mes vieux souliers

 Avez-vous vu mes vieilles chaussures
 de cuir marron et bien usées
 qui m’ont mené à l’aventure ?
 Avec elles, j’ai refusé
 de pantoufler, de m’endormir
 sur mes lauriers : j’ai parcouru
 des kilomètres sans gémir
 par les sentiers et par les rues…
  
Mes vieilles chaussures, qui ont parcouru
7 000 km de randonnées à mes pieds.
 Mes vieux souliers sont abîmés ;
 ils en ont vu, des paysages
 depuis le temps que je les mets,
 des animaux, des personnages !
 Ils ont grimpé dans les montagnes,
 des Alpes suisses aux Pyrénées ;
 ils ont traversé la campagne
 de l’Île-de-France au Bourbonnais.
  
 Mes godasses, que j’aimais fort,
 me seyaient comme des pantoufles ;
 pourtant, après huit ans d’efforts
 les voilà donc qui perdent souffle :
 la semelle est usée, grillée,
 l’empeigne devient mollassonne
 et le cuir est tout fendillé :
 l’heure de la retraite sonne.
  
 Que faire de vous, mes godillots,
 faut-il vous mettre à la poubelle ?
 Même si vous êtes bien vieillots,
 vous serez toujours des rebelles,
 plutôt écolos ; de ce fait
 j’ai pris la décision plus sage
 de vous transporter en effet
 à l’unité de recyclage.
  
 Adieu donc, mes vieux croquenots !
 A regret, je dois vous jeter :
 vous avez fait votre chrono,
 il est temps de vous projeter
 dans le paradis des tatanes ;
 en riant, vous regarderez
 du haut de ces hauteurs diaphanes
 sur terre les piétons errer !

Vieux souliers aux lacets (Vincent Van Gogh)




Renaud Cherel



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    Poème d'été : promenade champêtre
    Promenades


lundi 15 juillet 2013

La chaleur du soleil

Enfin la chaleur est arrivée, le soleil daigne se montrer dans toute sa splendeur et nous faire bénéficier de ses rayons !

Le soleil, en tant que source de chaleur et de lumière, est donneur de vie : sans lui, la terre serait stérile. Dans beaucoup de traditions humaines, le soleil est perçu comme dieu ou manifestation de dieu, et ses rayons figurent les influences célestes reçues par la terre. Dans le même temps, on sait bien que les rayons de soleil brûlent, que les coups de soleil sont dangereux et qu’une trop longue période de soleil sans pluie entraîne la sècheresse et la destruction des récoltes. Ainsi le soleil est-il perçu à la fois comme source de production et de destruction, comme symbole de vie et de mort. D’une autre façon, le cycle quotidien évoque la même alternance entre la vie et la mort : chaque soir, l’astre du jour descend dans l’obscurité pour rejoindre le royaume des morts et chaque matin, il se lève de nouveau, comme s’il renaissait de ses cendres : ainsi, à travers ce cycle vie, mort, renaissance, le soleil apparaît comme un symbole de résurrection et d’immortalité.
 
Le dieu égyptien Râ (dont la tête est surmontée du cercle du soleil)
parcourt le ciel sur sa barque
La lumière a toujours représenté la connaissance, en tant que dissipatrice des ténèbres de l’ignorance. Ainsi, étant source de lumière, le soleil est lui-même perçu comme le cœur de l’intelligence cosmique, comme le centre spirituel primordial. Dans la tradition orientale, le soleil, qui rayonne directement sa lumière, représente l’énergie yang, principe actif ; tandis que la lune, qui reflète la lumière émise par le soleil, représente l’énergie yin, principe passif. Symbole du principe générateur masculin, le soleil représente naturellement le symbole du père : on le retrouve comme tel aussi bien dans les dessins d’enfants que dans les rêves des adultes. En conséquence, le soleil représente dans l’inconscient un principe d’autorité avec un rôle d’éducation, de censure, de discipline, de morale. Vu par la psychanalyse, le rôle symbolique du soleil se retrouve à la fois dans le surmoi, avec ses interdits, ses principes, ses règles et ses préjugés, et dans l’idéal du moi, image supérieure à la hauteur de laquelle le sujet cherche à se hausser. Il figure ainsi les plus hautes aspirations de l’individu sur le plan intellectuel et humain, le chef, le roi, le souverain.

De l’opposition entre soleil et lune, il découle une application symbolique intéressante : puisque la lumière représente la connaissance, le soleil figure la connaissance intuitive, immédiate, tandis que la lune figure la connaissance par reflet, par raisonnement ou spéculation. Dans certaines traditions, le soleil sera assimilé à l’esprit et la lune à l’âme ; dans d’autres, le soleil est relié à la réflexion intellectuelle et la lune à la mémoire.

Par opposition au soleil visible le jour, on parle de soleil noir pour désigner celui-ci dans sa course nocturne, lorsqu’il quitte ce monde pour en illuminer un autre. Pour les alchimistes, le soleil noir est la matière première non encore travaillée. Pour l’analyste, c’est l’inconscient dans son état le plus élémentaire.

Alors, profitez bien du soleil cet été !


Renaud Cherel




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    Saison d'été
    La force des symboles

lundi 8 juillet 2013

Une ambiguïté nécessaire

Sur ce dessin, distinguez-vous un musicien ou un visage ?
Nous avons vu, lors du message précédent, que la plupart des mots employés dans les circonstances de la vie courante sont comme enveloppés de connotations diverses. Certains linguistes affirment que seuls ces mots « ordinaires » sont ainsi connotés, à la différence des mots scientifiques, qui, eux, ne conservent que la dénotation. Ces derniers sont certes plus précis, mais ils sont souvent eux aussi connotés, colorés par l’histoire et l’expérience de leurs inventeurs. Par exemple, le mot « dinosaure » a été forgé en 1842 par le paléontologue Richard Owen à partir du grec deinos, « terriblement grand », et sauros, « lézard ». Le terme est resté, alors qu’on a découvert depuis des dinosaures de petite taille, pas plus grand qu’un poulet. Par ailleurs, le scientifique qui utilise ce mot va le colorer par son expérience personnelle et professionnelle.

Cette ambiguïté de la langue, en tant qu’ensemble articulé de mots, est souvent présentée comme un inconvénient qui peut faire obstacle à la clarté de ce qui est dit. C’est vrai dans une certaine mesure, et cela peut conduire à des interprétations erronées ou à des contresens ayant parfois des conséquences graves, quand il s’agit par exemple de l’exécution d’une tâche dans un domaine sensible : une opération militaire, le contrôle du trafic aérien, une intervention chirurgicale... D’où la nécessité d’utiliser des procédures avec un vocabulaire défini à l’avance, dans un contexte précis. Dans la vie courante, ou dans les métiers de relations humaines, la reformulation est un excellent outil pour lever les ambiguïtés : en reformulant avec mes propres mots ce que j’ai entendu, je m’assure d’avoir saisi le sens voulu par mon interlocuteur.

Les langages artificiels conçus par l’homme pour communiquer avec les machines sont formalisés et non ambigus. Mais en travaillant sur l’intelligence artificielle, les spécialistes se sont aperçu que les langages informatiques classiques, non ambigus, limitaient considérablement la souplesse de réaction de la machine face à des stimuli variés : c’est ainsi que l’on a été amené par exemple à poser les notions de logique floue, qui permettent de raisonner sur des variables qualitatives et non pas quantitatives.

À l’inverse, s’il n’existe pas de langage naturel humain sans ambiguïté, c’est que cette propriété permet de mieux approcher le réel avec toutes ses nuances. Voyant une tomate rouge foncé, je dis que cette tomate est très mûre. Si je voulais étudier plus scientifiquement l’état de maturité de la tomate, il me faudrait définir par exemple une échelle de couleurs allant du vert au rouge foncé, puis attribuer un libellé à chaque couleur et enfin situer la couleur de ma tomate sur cette échelle. Je dirais à mon collègue : « La maturité de cette tomate correspond à l’indice 18.4 dans l’échelle de Tartempion ». Pourtant, dans la vie courante, l’expression subjective « très mûre », qui n’a probablement pas le même sens pour mon interlocuteur que pour moi, lui permet d’approcher suffisamment le sens de ce que je voulais dire.

D’où l’on voit qu’une certaine ambiguïté est nécessaire à la communication… Qu’en pensez-vous ?


Renaud Cherel


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Liens externes :
Si vous êtes intéressé(e) par la logique floue, vous pouvez lire l’article introductif suivant :

lundi 1 juillet 2013

Ambiguïté des mots

Ambiguïtés du langage (dessin R Cherel)
La plupart des mots ne sont pas neutres, ils sont connotés : en plus de leur sens ordinaire – ce que les linguistes appellent leur dénotation –, on vient leur ajouter d’autres sens selon le contexte. Pour un locuteur donné, les mots sont comme des objets précieux qui lui ont été transmis ; ils sont enveloppés de plusieurs couches de papier cadeau. On peut observer d’abord des couches liées à l’usage de ce mot depuis sa naissance, il y a un an, un siècle, ou un millénaire, usage lié à histoire collective de la société : la signification d’un mot donné a évolué avec le temps.

Prenons par exemple le mot formidable, qui vient du latin formido signifiant crainte, effroi, terreur : à l’époque de la Renaissance, formidable désignait ce qui inspire une grande crainte. Il était synonyme d’effrayant, redoutable, terrible. Puis, au XIXe siècle, sa signification a été restreinte : ce dont la taille, la force, la puissance est très grande ; il était alors synonyme de puissant, considérable, stupéfiant. Actuellement, c’est devenu un superlatif exprimant l’admiration, synonyme de fabuleux, fantastique, génial…

Ensuite – et ce sont les travaux des psychanalystes qui ont révélé cet aspect – notre inconscient, féru de jeux de mots, opère constamment des déplacement de sens, des inversions, des associations, des métaphores... Il va jouer avec la prononciation des mots : ainsi, pour un locuteur français, le mot mère peut être rapproché de mer ou encore maire (ce qu’on appelle des homophones), mais aussi d’autres mots par l’intermédiaire d’expressions orales. Ainsi, « c’est ta mère » peut être entendu comme « c’est amer » ; « ma mère » comme « mammaire » ; « ô mère » comme « Homère », etc. Notez que, dans une langue étrangère, les correspondances ci-dessus n’existent pas, mais sont remplacées par d’autres. Par conséquent, la traduction d’un mot ne peut jamais être exacte, car le cortège d’associations évoquées est différent d’une langue à l’autre.

Enfin, le mot est revêtu d’une couche personnelle de sens : il transporte avec lui les circonstances dans lesquelles il a été reçu par le locuteur. Quand un sujet prononce le mot « mère », ce mot évoque pour lui une certaine image – en général sa propre mère – laquelle s’accompagne d’une certaine ambiance émotionnelle liée à sa propre enfance. S’il a le souvenir d’une enfance heureuse et d’une mère aimante, il est probable que les connotations seront positives ; à l’inverse, si son enfance a été malheureuse, il est fort possible que le mot « mère » soit connoté plus négativement, par exemple en lien avec le mot « amer ». De plus, cette couche personnelle évolue avec l’histoire du locuteur : par exemple, les connotations attachées au mot « mère » sont souvent différentes après le décès de celle-ci. Pour une femme qui devient mère à son tour, le sens du mot s’enrichit d’une connotation nouvelle liée à sa propre expérience de la maternité.

Cette ambiguïté des mots est-elle un obstacle à la communication, ou bien favorise-t-elle la relation ? Nous examinerons cette question dans le prochain message. 


Renaud Cherel



Ce message vous a plu ? Vous pouvez voir aussi dans ce blog :
    Une ambiguïté nécessaire
    Reformulation
    Paradoxes de la vie ordinaire

Liens externes :
    Si vous êtes intéressé(e) par l’ambiguïté linguistique, lisez cet article de Danièle Fleury : 
   Ambiguité linguistique