Oriane et Maurice se disputent régulièrement, et leurs
scènes sont parfois assez violentes : la dernière fois, Oriane a lancé des
insanités à la tête de Maurice qui a réagi en giflant sa compagne. Cependant,
très souvent, les choses se terminent un peu de la même façon : après
qu’Oriane ait pris de la distance, Maurice revient tout penaud vers elle en lui
disant qu’il regrette ce qu’il a fait et qu’il ne recommencera plus. Oriane lui
reproche vivement son comportement puis, la plupart du temps, devant l’attitude
contrite de Maurice, elle finit par lui répondre qu’elle lui pardonne et ils se
réconcilient sur l’oreiller. Mais insensiblement la situation se dégrade et
Oriane a l’impression que peu à peu ils entrent dans une spirale de violence
dont ils n’arrivent plus à se dégager…
Tous les pédagogues le savent : le pardon doit se
conjuguer avec l’exigence. Le pardon, tel que nous l’avons défini précédemment,
n’a rien à voir avec le laisser-faire, le laxisme ou l’excès d’indulgence.
Compris dans ce sens, non seulement le pardon a peu de valeur, mais il risque
d’entraîner des conséquences négatives, il devient toxique pour la relation.
Ainsi, une étude étalée sur quatre ans effectuée par un
psychologue américain auprès de jeunes couples mariés montre que la façon
d’exprimer le pardon influe sur leurs relations : les couples ayant
déclaré être relativement indulgents maintenaient un niveau d’agressions stable
(agressions psychologiques et physiques). Les couples moins indulgents, au
contraire, connaissaient une baisse de ces mêmes agressions après plusieurs
années de mariage. L’auteur, qui a aussi étudié le comportement de délinquants,
interprète ces résultats de la façon suivante : le fait de trop facilement
pardonner peut conduire l’autre à se sentir libre de récidiver ;
inversement, la fermeté pousse l’autre à prendre davantage en considération les
conséquences indésirables de ses actes.
Comme on l’a vu précédemment, le pardon n’est pas l’excuse
ni l’oubli, il n’enlève pas la responsabilité de la faute commise. Si ces
conditions ne sont pas respectées, les interlocuteurs risquent de glisser,
comme Oriane et Maurice, dans la relation dite du « triangle
dramatique ». C’est un scénario relationnel toxique décrit par le
psychologue Karpman : les protagonistes vont se situer dans l’un des trois
rôles symboliques de Victime, Persécuteur ou Sauveur. Quand une personne
utilise l’un de ces rôles (par exemple la Victime), il y a de grandes chances
qu’elle entraîne l’autre à jouer un rôle complémentaire (le Sauveur ou le
Persécuteur). Ainsi, dans une altercation, Maurice peut être le Persécuteur et
Oriane la Victime. Mais l’expérience montre que souvent, les interlocuteurs
passent d’un rôle à l’autre selon les moments : du rôle de Victime, la
personne peut par exemple passer à celui de Persécuteur. Quand Maurice vient
s’excuser auprès d’Oriane, il peut entrer dans le rôle de Victime, tandis
qu’Oriane peut facilement passer dans le rôle du Persécuteur… et ainsi de
suite. Sortir de cette dynamique triangulaire n’est pas chose aisée.
L’acte de pardonner n’est donc pas anodin : il doit
garder son caractère exceptionnel et doit être utilisé avec discernement.
Renaud CHEREL
Le triangle dramatique de Karpman |
Renaud CHEREL
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