Vous l’aurez deviné, cher lecteur, j’aime écrire, j’aime
utiliser ce merveilleux outil qu’est l’écriture.
Si le langage est une faculté innée – un enfant a besoin
d’apprendre sa langue, mais il possède dès la naissance les outils de structuration
du langage – l’écriture ne l’est pas. Même si le fait d’écrire peut nous
paraître aller de soi, on peut affirmer que l’écriture est une technique parmi
d’autres, qui a d’ailleurs été inventée par les humains très tardivement, bien
après la maîtrise du feu ou la taille des outils de silex. L’écriture, et la lecture,
sa contrepartie, sont d’invention très récente : que représentent cinq
mille ans au regard des centaines de milliers d’années de notre préhistoire ?
Rappelons que l’Histoire ne commence, par définition, qu’après l’apparition de
l’écriture, une invention prodigieuse.
Tablette d'argile avec écriture cunéiforme (Babylone) |
Je l’ai toujours pensé, mais j’en suis aujourd'hui encore
plus convaincu depuis que je travaille sur ma généalogie familiale. Grâce à
l’écriture, pas celle de mes ancêtres qui souvent étaient illettrés, mais celle
du maire ou du curé de leur village, ou encore celle du notaire familial, j’ai aujourd'hui
accès à des milliers d’informations concernant les grands événements de leur
vie, leur cercle de relations, leur métier ou leurs occupations.
Bien sûr, d’autres moyens peuvent nous renseigner sur les
activités de nos prédécesseurs : les peintures de Lascaux ou autres sont
des témoignages extraordinaires. Mais elle ne nous disent pas ce que pensaient et
ressentaient nos lointains ancêtres. Au contraire, en lisant le Journal d’Anne
Franck, je peux partager les émotions de cette jeune fille ; en déchiffrant
de Catilina, écrit en 63 de notre
ère, je peux savourer l’argumentation de ce grand orateur qu’était Cicéron ;
en lisant Moby Dick de Melville, je découvre la vie des pêcheurs de baleine du
XIXe siècle.
L’écriture a permis et accompagné les fulgurants progrès de l’humanité.
Grâce à l’écriture, nous avons des informations très détaillées sur l’Histoire
humaine depuis quelques millénaires. Mais surtout, grâce à l’écriture, qui a
permis de transmettre à distance et dans le temps les savoirs d’un individu ou
d’un groupe limité, l’humanité a pu progresser de façon fantastique dans la plupart
des domaines, de la technique à la philosophie et du commerce à la littérature.
Sans parler des religions : sans la Bible, le Coran ou la Bhagavad Gita,
que seraient le judaïsme, le christianisme, l’islam ou l’hindouisme ?
Pourtant, comme beaucoup d’autres techniques, l’écriture fut
critiquée en ses débuts : il y a environ 2400 ans, Socrate considérait l’écriture
comme mauvaise en soi. Ses critiques nous sont d’ailleurs parvenues par le
moyen de l’écriture, puisque son opinion nous a été transmise par Platon dans le
Phèdre et dans la lettre VII contre
l’écriture. Socrate pensait que l’écriture détériorait la mémoire des gens, qui
comptaient sur une ressource externe plutôt que sur leurs ressources
personnelles : en somme, la pratique de l’écriture affaiblissait l’esprit.
Il est amusant de constater que le même genre d’arguments a été repris contre l’imprimerie
et, plus récemment, contre l’ordinateur et Internet.
Ne craignons donc pas les nouveaux moyens de communication,
et vive l’écriture !
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La magie des mots
Renaud CHEREL
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