Nous avons vu dans le message précédent (voir Classements et catégories) que la catégorisation est
un instrument extrêmement puissant ; et pourtant, depuis quelques
décennies, cette façon de faire est fortement remise en cause, notamment dans
certains domaines scientifiques. Pour illustrer mon propos, je vais prendre
deux exemples.
Dans la vie courante, les frontières entre les catégories
d’objets s’avèrent, à la réflexion, souvent floues. Par exemple, je sais bien
ce qu’est un livre : un objet avec un nombre assez grand de pages
imprimées et reliées entre elles, le tout protégé par une couverture. Si la
forme est la même mais avec un faible nombre de pages, on parlera plus
volontiers de brochure ou de plaquette. Si le livre est écrit à la main, on
parlera plutôt de manuscrit. Quelle différence avec un cahier ? Au départ,
celui-ci était un ensemble de pages coupées à partir d’une feuille et pliées
les unes dans les autres, un livre étant formé de plusieurs cahiers.
Aujourd'hui, le cahier est pourvu de feuilles blanches ou quadrillées réservant
un espace dans lequel on peut écrire ; suivant la taille et l’apparence,
on va le décliner en album, bloc-notes, calepin, registre… sans oublier le
livre blanc : et nous voici revenus au livre !
Autre exemple : lorsque je faisais mes études de
sciences naturelles, il existait une classification des êtres vivants
extrêmement solide et bien établie, qui permettait d’attribuer à un individu le
nom d’une espèce, espèce regroupée avec d’autres, aux caractéristiques proches,
à l’intérieur d’un genre. Toujours sur la base des caractéristiques visibles
(le phénotype), les genres voisins étaient regroupés au sein de familles,
rassemblées en sous-classes, puis en classes et embranchements, etc. : une
construction logique dont l’architecture semblait définitivement établie par
tous les spécialistes du monde, même si des détails étaient discutés dans les
niveaux les plus fins. Cette classification classique ou systématique reposait
sur un nombre limité de principes et sur un axiome allant tellement de soi
qu’il était rarement discuté : plus la ressemblance entre deux individus
est forte, plus ils sont proches dans la classification.
Avec les progrès accomplis en génétique, on s’est rapidement
aperçu que les liens entre les espèces étaient plus complexes que cela :
certains individus aux caractéristiques apparemment très semblables étaient
éloignés génétiquement, alors que d’autres, que l’on avait placés dans des
groupes très séparés, étaient en réalité bien plus proches que prévu. Par
exemple, le concept de « reptiles » a été abandonné car regroupant
des espèces non proches parentes ; les plus proches parents vivants des crocodiles
sont… les oiseaux ! Aujourd'hui, la classification classique des êtres
vivants a été abandonnée au profit de l’approche phylogénétique. La
catégorisation, qui nous a permis de faire d’énormes progrès dans la
connaissance des êtres vivants pendant des siècles, avait atteint ses limites.
Ne perdons donc pas de vue que les catégories ne sont pas la réalité : ce sont des abstractions, des outils que nous avons créés pour simplifier la complexité du réel. Les limites de la catégorisation sont aussi valables pour chacun de nous : ai-je tendance à catégoriser facilement les gens et les
choses ? Dans quelle mesure suis-je capable de remettre en cause mes
catégories ?
Renaud CHEREL
Voir aussi dans ce blog :
Compliqué ou complexe
Généralisation
Vivre ensemble
Lien externe :
Catégorisation, stéréotypes et préjugés
Bibliographie :
Salès-Wuillemin Édith : La catégorisation et les stéréotypes en psychologie sociale, éd. Dunod, coll. Psycho-sup, Paris 2006
Renaud CHEREL
Voir aussi dans ce blog :
Compliqué ou complexe
Généralisation
Vivre ensemble
Lien externe :
Catégorisation, stéréotypes et préjugés
Bibliographie :
Salès-Wuillemin Édith : La catégorisation et les stéréotypes en psychologie sociale, éd. Dunod, coll. Psycho-sup, Paris 2006
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